Témoignage : l’hyperspécialisation dans le jeu vidéo

Témoignage : l’hyperspécialisation dans le jeu vidéo

Est-ce que tu peux tout d’abord te présenter et nous parler de ton parcours ?

Je m’appelle Charles Riffaud-Declercq, enseignant directeur adjoint à la Horde. Avant d’arriver à La Horde, j’ai collaboré avec Asobo Studio sur Flight Simulator ainsi qu’avec Ubisoft Montréal dans l’équipe de développeurs dédiés à la série Far Cry. Je suis d’abord et avant tout un développeur de jeux vidéo.

Pour quelle raison avoir choisi de t’orienter vers l’enseignement ?

Deux raisons : la première c’est surtout mon désir de partager ma passion pour le développement informatique. J’adore partager, apprendre de nouvelles choses et les transmettre aux autres. La seconde raison c’est que le développement de jeux vidéo est un milieu particulièrement complexe et j’avais envie de passer plus de temps sur le concret car après 10 ans de métier, les problématiques rencontrées commencent à prendre en abstraction.

Qu’est-ce que « l’hyperspécialisation » exactement ?

Pour expliquer l’hyperspécialisation il faut tout d’abord que je revienne sur les origines du développement de jeu, vers la fin des années 80, début années 90. C’était une époque où une seule personne pouvait se charger de toute la création d’un jeu, de la musique jusqu’au graphisme en passant par la programmation, le tout sur des intervalles de temps relativement courts.

Charles Riffaud Declercq Deirecteur adjoint La Horde Bordeaux

Avec le temps, les machines montant en puissance, les attentes des consommateurs ont augmenté et avec elles la complexité du développement nécessaire à la création d’un jeu vidéo. Résultat : on s’est retrouvé avec des équipes de développeurs qui prenaient en taille et naturellement chacun s’est orienté vers son domaine d’affinité. Certains préféraient la programmation 3D, d’autres la programmation système, d’autres encore la programmation audio, etc.

Petit à petit ce format a fini par devenir la norme. Plus le temps a passé, plus ça s’est marqué. Aujourd’hui le terme « développeur de jeu vidéo » est un terme qui englobe l’ensemble des spécialités nécessaires, mais dans la réalité, hors studio indépendant, personne n’aura ce titre.

Quand on y pense, c’est d’autant plus légitime quand dans les grands studios on se retrouvera avec près de 10 000 fichiers contenant plus de 5 millions de lignes de code. Personne ne peut plus connaitre tout ça par cœur.

Le résultat c’est qu’aujourd’hui on a des développeurs spécialisés, dans des domaines extrêmement pointus. Il arrive assez régulièrement que des chercheurs rejoignent les équipes de développement, que ce soient des chercheurs en cybersécurité pour améliorer les techniques réseaux ou des chercheurs en programmation graphique pour l’amélioration des visuels. On atteint un tel niveau technologique de pointe dans chacun des domaines que l’hyperspécialisation est devenue absolument nécessaire.

Pourrais-tu nous donner quelques exemples concrets de spécialisation dans le jeu vidéo ?

Je vais commencer par ce que je connais le mieux car c’est ma propre spécialité : La programmation 3D.

Dans une équipe de développeurs jeu vidéo, un développeur 3D aura par exemple pour rôle de prendre les visuels créés par les graphistes et devra s’arranger pour les afficher à l’écran de façon à correspondre avec la volonté du graphiste. Il va donc se saisir de toute la partie de pré-travail sur les données pour les mettre sous un format optimisé pour une carte graphique et ensuite devra se charger de toute la programmation qui en découlera.

Un autre exemple de spécialité : La programmation physique. Le développeur physique va être spécialisé dans les interactions entre les objets dans un jeu vidéo. Ça reste un domaine mathématiquement complexe et très spécialisé mais cela permet d’avoir des jeux de plus en plus réalistes. Aujourd’hui il y a des jeux de simulation de course ou la déformation des pneus est simulée en temps réel. Ce genre de choses est possible notamment grâce aux développeurs physique.

Il y a aussi la programmation audio qui aura trait à tout ce qu’on entend, la spatialisation du son, le chargement en temps réel des fichiers audio de manière optimisée, etc. La programmation IA (Intelligence Artificielle) va quant à elle donner des outils au gameplay pour créer des personnages non-joueurs plus naturel, pour une meilleure immersion.

Je pourrais continuer à lister des spécialisations pendant un bon moment avant d’en arriver au bout.

Qu’a-t-on à gagner à choisir l’hyperspécialisation plutôt qu’une formation avec tronc commun ?

Quand on y réfléchi bien, le fait de se spécialiser dès le 1er jour, d’abord dans le jeu vidéo et ensuite dans une spécialisation bien précise, ne nous enlèvera pas de compétences car on va apprendre la programmation généraliste sous un angle différent. En revanche cela va donner dès le départ une idée très claire du métier qui va nous attendre et permettre à l’étudiant de savoir vers quoi son métier tend pour lui permettre d’adopter une attitude professionnelle qui va être plus correspondante.

Même en termes de compétences brutes, on se retrouve dans un cas ou l’étudiant qui s’hyperspécialise commence tout de suite à apprendre les mécanismes propres au fonctionnement des jeux vidéo. C’est quelque chose qui peut paraître un peu abstrait au début, mais qui lui permettra de ne pas se retrouver submergé d’informations quelques années plus tard, ce qui sera sans doute le cas s’il passe d’abord par un tronc commun.

D’un point de vue des débouchés, cela fait-il une réelle différence ?

Indéniablement, cela ouvrira des portes supplémentaires.

Le fait est qu’aujourd’hui un studio de jeu vidéo n’embauchera pas juste un développeur. Il embauchera un développeur 3D, un développeur moteur, un développeur physique, etc. Sortir d’une formation avec une spécialisation forte dans ce domaine, c’est s’ouvrir d’emblée ces portes-là. En revanche, cela n’empêchera pas pour autant de travailler dans l’informatique généraliste si on le souhaite.

Choisir de se spécialiser depuis le début ne ferme réellement aucune porte ?

Non, car même si l’étudiant n’aura pas eu de cours spécifiques sur une notion, il l’aura certainement abordée à un moment de sa scolarité de manière indirecte. Par exemple, même s’il n’aura jamais eu de cours magistral sur les algorithmes de Dijkstra, en programmation gameplay il va se retrouver avec un personnage non-joueur qui va devoir se déplacer d’un point A à un point B, en passant par certaines cases et il faudra calculer la distance nécessaire pour prendre le chemin le plus court. Et c’est exactement ça l’algorithme de Dijkstra ! De fait, même si sa scolarité est orientée vers les jeux vidéo, un étudiant diplômé pourra toujours accéder au même panel de débouché qu’après une formation plus généraliste.

Charles Riffaud Declercq La Horde conception moteur jeu video

Quel est le taux d’insertion après des études hyperspécialisées ?

100%

Aujourd’hui en sortant d’une école qui propose une spécialisation forte dans le jeu vidéo dès le début du cursus, on se retrouve avec une embauche garantie en sortie d’école. Cela peut paraitre surprenant car on entend parfois qu’il y a peu de places dans le secteur du jeu vidéo comparé à la demande, mais la réalité, c’est qu’il y a beaucoup de demandes de candidats qui n’ont pas la spécialisation nécessaire.

Pour citer mon propre exemple : J’ai fait une formation en informatique non spécialisée et il a fallu que je me batte pendant 5 ans avant de réussir à décrocher une petite place dans un studio de jeu vidéo. J’aurai pu gagner 5 ans en orientant mes études autrement.

Pour finir, quel message adresserais-tu à un jeune qui souhaiterai devenir développeur de jeu vidéo ?

Le développement de jeu vidéo ce n’est pas un seul domaine, c’est une multitude de choses différentes et il faut toutes les essayer pour savoir ce qu’on veut et qu’on aime faire. Une fois qu’on a trouvé son domaine de préférence il ne faut surtout rien lâcher !

C’est un secteur qui bouge très vite, dans lequel il faut avoir une très grande soif d’apprendre. Et c’est ce qu’on vous apprendra ici. Je fais partie de ceux qui ne veulent pas forcément apprendre des choses aux autres, je veux surtout leur apprendre à apprendre pour leur permettre d’avoir une meilleure autonomie dans leur future vie professionnelle.